Le conseil municipal de Marseille dans sa séance du 7 juillet 2023, à l’occasion de la livraison de récents programmes immobiliers, a adopté la dénomination de 22 nouvelles voies, pour la plupart dans le 15ème arrondissement de la ville. Parmi ces dénominations plusieurs ont un rapport avec l’histoire coloniale et ses conséquences : la « rue Larbi Benbarek, footballeur à l’OM (1917-1992) », la « place Baya Jurquet-Bouhoune, militante féministe et antiraciste (1920-2007) », la « rue Paulette Nardal, femme de lettre (1878-1954) », la « traverse Assia Djebbar, académicienne française (1936-2015) ».
Lors de ce conseil, seule la place Baya Bouhoune-Jurquet a donné lieu à débat en raison des oppositions haineuses des représentants lepenistes et zémouriens auxquelles a répondu sobrement, Audrey Gratien, adjointe à la politique de la ville et à la mobilité.
Une telle dénomination ne peut, au contraire, que nous réjouir. On regrettera, cependant, que la dénomination oublie la dimension essentielle de Baya, l’anticolonialisme, plus juste aurait été « place Baya AlJaouchiche-Bouhoune-Jurquet, militante anticolonialiste, féministe et antiraciste (1920-2007) », même si c’est en tant que militante antiraciste, responsable du MRAP qu’elle est plus connue à Marseille, aujourd’hui . Chez Baya le féminisme, l’anticolonialisme, le racisme font un tout indissociable de sa personnalité.
Les extrêmes droites l’ont bien compris. Leurs propos n’expriment pas seulement leur haine d’une militante féministe et antiraciste, ils expriment avant tout le rejet de l’Algérienne, de l’anticolonialiste, engagée pour la libération de son pays.
Fondamentalement Baya, avait, par son vécu, compris que le combat pour la libération nationale et celui pour la libération de la femme ne faisaient qu’un. Scolarisée jusqu’à l’âge de 11 ans grâce à l’obstination de son père, elle ne put éviter, sans la protection de celui-ci, un mariage forcé, à 14 ans, avec l’un de ses cousins. Ainsi elle sera connue en Algérie sous le nom de Baya Allaouchiche. Elle n’accepte pas ce mariage, se révolte, s’enfuit, est ramenée de force auprès de son mari. Rapidement, au contact de militants du Parti communiste algérien, elle s’engage. En 1949, elle est élue au Comité central, seule femme, semble-t-il, d’origine "arabo-berbère". La même année elle devient secrétaire générale de l’Union des femmes algériennes crée par le PCA. Rapidement après 1954, avec d’autres militants, dont l’aspirant Maillot, elle entre en contact avec le FLN, alors que le PCA tergiverse sous l’influence du PCF. En 1956, elle est arrêtée et transférée en "métropole", où il lui est interdit de rentrer en Algérie. Elle s’installe à Marseille où elle va continuer son combat, en particulier dans les bidonvilles.
Elle rencontre Jacques Jurquet, cadre du PCF et de la CGT, lui-même de plus en plus en désaccord avec son parti après le vote des pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet par les députés communistes en 1956. Elle jouera un rôle important auprès de lui lorsqu’il entreprend d’écrire son ouvrage La Révolution nationale algérienne et le Parti communiste français par sa connaissance des relations entre la PCA et le PCF et les nombreux liens qu’elle a conservés avec des militants algériens. De même elle apporte encouragements, soutiens et contacts à Jean-Luc Einaudi pour ses livres sur des anticolonialistes algériens dont le premier Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton en 1986.
À Marseille, à la fin des années 50, elle commence l’écriture d’un roman : L’oued en crue, qui sera publié en 1979 à Paris par les Éditions du Centenaire sous le nom de Bediya Bachir, puis en 1994 à Genève par les Éditions Sakina Ballouz sous le nom de Bayia Jurquet-Bouhoune.
On pourra lire l’ensemble de sa biographie détaillée dans le Maîtron ( Dictionnaire bibliographique du Mouvement ouvrier et du Mouvement social) : BOUHOUNE Baya plus connue en Algérie sous le nom ALLAOUCHICHE Baya [Dictionnaire Algérie] rédigée par l’historien René Galissot (dernière mise à jour 26 novembre 2020)), se reporter au livre de Jean-Luc Einaudi, Baya, d’Alger à Marseille, au film de Daniel Kupferstein Baya ou encore à Femmes algériennes de la Kahina au Code de la famille, guerres, traditions, luttes, à travers nos lectures et souvenirs qu’elle a co-écrit avec Jacques Jurquet ;
Dernière question aux conseillers municipaux de la majorité municipale : ne voyez vous pas la contradiction entre nommer une place Baya Jurquet-Bouhoune, militante algérienne anticolonialiste et maintenir les rues Bugeaud et Cavaignac, bourreaux du peuple algérien ? Où est-ce une nouvelle forme du « en même temps » ?
PRECISIONS : Cet article principalement a pour objet, de souligner et de mettre en valeur la dimension anticoloniale de Baya, absente de la délibération du Conseil municipal. Ami proche de Bayia depuis 1963 j’ai eu la chance de pouvoir l’entendre à de nombreuses parler sa vie personnelle et militante. J’ai confronté mes souvenirs avec les écrits et les interviews de Baya elle-même, de Jacques Jurquet, Jean-Luc Einaudi, René Galissot et Alain Ruscio, le film de Daniel Kupferstein.