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Pondichéry, un bel exemple de décolonisation réussie...qu’ils disaient !

Publié le 5 janvier 2023 par Lourdes Mounien

Une contribution de Lourdes Mounien

C’est lors d’un échange avec le collectif du Guide du Marseille Colonial, à la librairie Zoème, que j’ai fait part de mon ressenti sur l’absence des colonisés de Pondichéry dans les débats. Mais c’était sans compter sur Daniel qui me parla de la rue Bussy l’indien qui était le surnom de Charles Joseph Patissier de Bussy, marquis de Castelnau. Je vous laisse aller chercher les détails sur l’histoire de ce personnage dans le guide mais pour résumer, il avait été un personnage central dans la récupération militaire de ce petit territoire du Bengale dans l’escarcelle coloniale de la France.

Cet échange sur Pondichéry me fit tout de suite penser à une vielle photo de mon arrière-grand-père (au milieu, rangé du bas) qui selon la fameuse transmission orale familiale, qui a ce pouvoir de glorifier le passé, avait combattu l’envahisseur français. J’ai toujours grandi avec cette idée mais quand Zohra m’a demandé d’écrire un petit texte sur cette photo, j’ai voulu tout de même vérifier toute cette histoire familiale.

Après avoir mené mon enquête auprès des anciens, il semblerait que cet aïeul du nom de Govindassamy (il n’y avait pas de prénom ou nom en Inde avant que les colons n’en imposent) est né en 1897 et mourût en 1949. Il était commerçant dans l’import-export, dans la vente de lait, il réparait des vélos et était agriculteur. Au-delà de ce pedigree professionnel d’intérimaire, fait intéressant, il était membre du parti politique opposé à la présence française à Pondichéry. En fait, peu de texte relate cette opposition politique comme si la colonisation de Pondichéry a toujours été paisible et calme entre colons et colonisés.

Souvent, Pondichéry est vendu avec cette image de « bout de France en Inde » avec ses joueurs de pétanque, ses rues aux noms d’illustres français comme Dumas. Mais en grattant un peu ce beau vernis, la réalité est plus sombre et sournoise. Le territoire de Pondichéry a une histoire coloniale bien différente du reste de l’Inde. En effet, cette enclave a rejoint le reste de l’Inde en 1962 alors que le pays continent a obtenu son indépendance en 1947. Dans les turbulences de l’histoire de la décolonisation, le parlement ratifiait en 1962 le traité de cession de 1956 qui sous la belle idée de l’Indépendance cachait un beau cadeau empoisonné. En effet, avant de quitter Pondichéry, la France a laissé le choix aux Pondichériens de conserver la nationalité française au lieu de devenir Indien.

Bien entendu, de nombreux Indiens issus des classes les plus défavorisées et basses castes ont choisi de rester français dont mon grand-père. Pour beaucoup, ce choix de la nationalité française comme la solution nécessaire pour sortir de cette misère sociétale ; être de basse caste était une damnation. Je ne suis pas assez documenté pour relater plus en détails les motivations qui ont amené ces Pondichériens à ne pas choisir l’Inde. Je n’ai jamais réussi vraiment à discuter de cela avec mon père... il y a des sujets familiaux difficile à aborder par peur du jugement. Toutefois, j’ai pu comprendre que la situation de ma famille de basse caste a fortement contribué à cette décision de mon grand-père.

Ce choix pervers entre deux nationalités va mener à des situations difficiles, comme ces Pondichériens qui vivent dans un pays dont ils ne sont pas citoyens, ce qui les privent de l’accès à la gratuité des universités indiennes par exemple.

Nehru disait « Pondichéry, fenêtre ouverte sur la France », ces Franco-Pondichériens cherchent toujours la poignée pour ouvrir cette fenêtre. Bien entendu, la France n’a pas offert sa nationalité pour les beaux yeux marron de ces anciens colonisés. Rappelons que nous sommes en pleine guerre froide et il faut encore des jeunes hommes pour alimenter les régiments et les armées françaises au cas où ça chauffe entre les blocs de l’Ouest et de l’Est. L’Histoire a retenu les tirailleurs sénégalais ou encore les tabors marocains, mais les colonisées alimentaient l’armée française en dehors des guerres mondiales.

Dans ce contexte, beaucoup de jeunes Franco-Pondichériens, comme mon père, s’engageaient dans l’armée française pour quitter une situation économique fragile et se retrouver ainsi en métropole. Mais bien avant cela, beaucoup d’Indiens de Pondichéry servirent l’armée française en Indochine, il y en eut même qui faisaient partis des troupes de Bussy pendant la guerre d’indépendance américaine en 1782 ! L’histoire militaire est très ancrée dans cet ancien comptoir français.

La tragédie pour tous ces jeunes Franco-Pondichériens à l’identité trouble, comme beaucoup de colonisés, étaient d’être perdus entre un ici et un ailleurs.

Quand j’accompagnais mes parents à gare du Nord pour aller louer des cassettes VHS de films tamouls qu’ils regardaient toute la semaine, je savais qu’une partie d’eux étaient restées en Inde. Je me suis toujours demandé ce que leur vie, ma vie, aurait été sans ces accords et traités qui ont scellé l’avenir de tous ces descendants de peuples colonisés. Quelque soit l’histoire coloniale, que ce soit en Afrique ou en Asie, il y aura toujours chez les descendants et descendantes de colonisés ce besoin de construire sa propre histoire au travers de celles de ses ancêtres, et c’est en cela que la France actuelle doit arrêter d’avoir peur de la rédemption postcoloniale et accompagner ces citoyens et citoyennes français.es dans leur recherche.

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