Jules Siegfried (1837-1922) est né en Alsace, d’une famille de riches négociants. Il crée avec son frère une société de négoce de coton à Mulhouse et au Havre et va faire fortune en profitant des difficultés des ÉtatsUnis au cours de la guerre de sécession. Millionnaire à seulement 25 ans, il gère des succursales à Bombay et à la Nouvelle-Orléans. Il quitte l’Alsace devenue territoire allemand et s’installe au Havre où il devient maire, député puis sénateur. Il sera ministre du commerce et des colonies (1892), membre du Comité pour l’Afrique française et président du groupe colonial du sénat en 1898. Il est un fervent partisan du développement de la colonisation « l’ère de la conquête est terminée, celle de la colonisation commence ». Pour cela il encourage les concessions privées :

Il est nécessaire que le colon […] ne soit pas entravé par les rouages multiples d’une administration qui peut convenir à d’anciens pays, mais dont l’action ne peut être que nuisible dans des pays nouveaux.

Comme la plupart des responsables politiques de son époque, il considère que la colonisation a pour mission « de travailler au bien-être matériel et moral des pays auxquels nous apportons notre civilisation », mais aussi que « l’exploitation des richesses des colonies a pour conséquence d’améliorer la situation sociale de nos ouvriers [1] ». Cet homme est paradoxalement un républicain relativement conservateur sur le plan moral, il s’engage pour l’amélioration de la condition des ouvriers, cherchant par-là à prévenir les conflits de classe. Il fait adopter une loi sur le logement à bon marché (HBM), préside la Ligue de l’enseignement, fonde le Cercle Franklin pour l’éducation des ouvriers (qui sera transformé en Bourse du travail ce qu’il ne souhaitait pas), s’engage pour le vote féminin et crée une des premières écoles laïques pour les jeunes filles.