Parution : Septembre 2022
Pages : 228
Format : 115x190
Prix : 10€
Ce livre a la particularité d’être un ouvrage collectif pensé et rédigé par un groupe de travail réunissant des militant·es et citoyen·nes sensibles et sensibilisé·es à cette question de l’empreinte du colonialisme dans leur ville. Il constitue le fruit d’un travail rigoureux effectué par des Marseillais, des Marseillaises militant·es anticolonialistes, des éditeur·trices, libraires, des enseignant·es, des acteur·trices associatif·ves. L’exploration de la ville à travers ses rues a fait émerger tant de réflexions et de multiples ramifications que ce guide sera prolongé par un blog, un site pédagogique et d’autres travaux. Ce livre collectif n’est pas un essai théorique sur le colonialisme, l’histoire coloniale et l’histoire de France. Il s’agit d’un guide venant compléter les guides déjà publiés aux éditions Syllepse [1].
Cet ouvrage s’inscrit dans un contexte particulièrement tendu où les questions relatives au passé colonial et esclavagiste de la France rendent fébriles, crispent l’entendement, voilent les horizons et tentent d’oblitérer toute velléité de compréhension. L’histoire a déjà été écrite, c’est celle que révèlent les noms des rues, des places, des villes de France. Proposer de lire autrement cette histoire bien ancrée dans les mentalités, dans l’inconscient collectif des Français, est-ce possible, envisageable ? Revisiter l’histoire ou l’explorer pour révéler ses infamies et son ignominie n’est pas anodin. Bien au contraire, cette entreprise nous oblige d’emblée à nous situer, nous positionner, prendre parti en proposant un autre regard, en osant le pas de côté nécessaire pour une meilleure compréhension de cette histoire. Il ne s’agit pas de l’histoire de la France en général, mais l’histoire de la France en particulier, celle que l’on regarde à travers le prisme d’une ville, Marseille et de son empreinte coloniale.
La domination coloniale a en effet profondément marqué la ville, sur près de quatre siècles. Ses traces, ses effets sont encore bien présents : les monuments et les rues les plus visibles sont ceux qui lui sont intimement liés. Parmi eux, on peut distinguer ceux qui ont mis en œuvre la colonisation : bourse, chambre de commerce, instituts coloniaux, lieux d’expositions et de célébration, port et docks, etc. Il y a aussi ceux qui viennent en faire l’éloge, par exemple : les mobiles, la porte de l’Orient, les escaliers de la gare Saint-Charles, etc. C’est ce que nous révèle ce guide.
Il y a en effet, des rues qui portent le nom de criminels de guerre comme Bugeaud ou Cavaignac, des militaires moins connus, des négociants, des marchands d’esclaves, des trafiquants de produits coloniaux, armateurs, etc. Il y a les noms de celles et ceux, peu honorés dans les rues de Marseille, qui, à toutes les époques, se sont dressés contre la traite négrière, le colonialisme ou le racisme et qui ont refusé de se soumettre au mythe de la mission civilisatrice universelle de la France et de la République. Enfin, il y a toutes les victimes des crimes coloniaux et des événements tragiques qui ont marqué la ville auxquels les noms des rues ne rendent que rarement hommage.
La dénomination des rues de la ville et des lieux publics est une décision politique prise sous la responsabilité du maire. Le choix de ces noms qui visent à promouvoir les valeurs symboliques qui leur sont rattachées, nous interpelle forcément. Il s’agit ici de faire valoir son droit d’en débattre, d’émettre son avis et, dans certains cas, d’agir collectivement pour faire changer les choses, lutter pour une autre lecture des événements ou des personnalités. C’est aussi ce qu’ont compris certain·es citoyen·nes qui œuvrent, qui militent pour que soient renommées certaines rues à Marseille, ailleurs en France métropolitaine et dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, survivances de l’empire colonial.
Nous avons eu à consulter de nombreux essais, des ouvrages, dont le Dictionnaire historique des rues de Marseille d’Adrien Blès [2], et lire de nombreux articles publiés, les réflexions et les discussions, effectuer des recoupements, compléter tout cela par nos recherches dans les archives (municipales, départementales). Nous avons décidé de compléter la lecture de ce guide en intégrant des photographies prises aujourd’hui des rues, des lieux et monuments qui sont les marques toujours visibles du passé colonial de la ville.
Cet ouvrage est composé de deux parties, la première en constitue la colonne vertébrale, le guide en lui-même : une indexation des noms des militaires, des politiques, des armateurs, des scientifiques, des artistes, et autres personnes ou événements ayant tous pris part au système de domination coloniale. Le parti a été pris de valoriser dans certains secteurs de la ville le nom de personnes ayant résisté et œuvré contre cette domination qui s’inscrit dans une continuité historique. Cette première partie serait incomplète sans l’ajout d’un dossier complémentaire, thématique, subjectif focalisant sur certaines questions particulières mettant la lumière sur des problématiques fondamentales, telles que les expositions coloniales et leur genèse, la santé coloniale, et de manière plus contemporaine les crimes racistes comme fondement d’une même politique de domination et d’oppression.
La nécessité de produire un tel guide vient nourrir un sentiment d’urgence, celui de Marseillais·es qui ne veulent plus emprunter, parcourir, habiter, étudier dans des lieux qui portent le nom de celles et ceux qui ont œuvré à notre déshumanisation. Ce guide en appelle aussi à notre responsabilité collective et citoyenne par un travail de recensement des éléments qui dans cette ville, relève de traces, de stigmates, de blessures du passé colonial mais aussi d’un présent néocolonial ou postcolonial. L’écriture d’un tel ouvrage, c’est aussi l’exigence de mettre en mots un plaidoyer pour que nous puissions habiter Marseille sans ces fantômes du passé colonial. C’est aussi l’invitation à un nouvel imaginaire qui nous élève vers le souci de l’autre, du tout-monde dans sa complexité, sa pluralité. Ce travail n’a pas seulement une dimension historique et de mémoire, il est d’une grande actualité : à Marseille il a fallu vingt-six ans de lutte pour qu’une avenue porte le nom d’Ibrahim Ali, tué par des colleurs d’affiches du Front national le 21 février 1995.
[1] 1. Guide du Paris colonial et des banlieues, Paris, Syllepse, 2018 ; Guide du Bordeaux colonial et de la métropole bordelaise, Paris, Syllepse, 2020 ; Guide du Soissons colonial, Paris/Soissons, Syllepse/L’Échelle du Temps, 2020.
[2] Adrien Blès, Dictionnaire historique des rues de Marseille, Marseille, Jeanne Laffite, 2020.
AUTRICES ET AUTEURS :
Saïd Boukenouche, Zohra Boukenouche, Alain Castan, Élodie Debureau, Daniel Garnier, Aïssa Grabsi, Soraya Guendouz-Arab, Nora Mekmouche, Muriel Modr, Michel Touzet, Assia Zouane.
AVEC LES CONTRIBUTIONS DE :
Francesca Arena, Malik Bouriche, Gaïa Manetti.
COUVERTURE :
Kamel Khélif.
COORDINATION :
Alain Castan et Nora Mekmouche. REMERCIEMENTS À : Christine Vandrame, Nathalie Castan pour leur participation à la relecture.
AVEC LE SOUTIEN DE :
Approches cultures et territoires, Éditions Courte échelle-Transit, Cris écrits, librairie Transit, Mémoires en marche, Lunettes décoloniales, Le Sel de la Vie.
Publié le 20 mai 2024 par Michel
Publié le 7 mai 2024 par Alain Castan