Accueil > Actualités

À l’occasion de la canonisation de Charles de Foucauld

Publié le 11 juin 2022 par Daniel Garnier

À l'occasion de la canonisation de <a href=Charles de Foucauld" class="ob-cell ob-img ob-media" src="https://data.over-blog-kiwi.com/6/79/04/71/20220611/ob_385a22_sans-titre-1-copie" />

CHARLES DE FOUCAULD AU SAHARA* 

La récente canonisation de Charles de Foucauld (1858-1916) par le Vatican, le 15 mai dernier, ne doit pas nous faire perdre de vue que sa ferveur chrétienne ne s’est jamais dissociée de sa ferveur militaire, nationaliste et coloniale. Jean-Marie Muller, fondateur du mouvement pour une alternative non-violente, le soulignera d’ailleurs dans son livre : « Charles de Foucauld, frère universel ou moine-soldat ? » publié en 2002. 

Ce questionnement c’est celui de Charles de Foucauld lui-même : « Sauront ils [les Touaregs] séparer entre les soldats et les prêtres, voir en nous des serviteurs de Dieu, ministres de paix et de charité, frères universels ? Je ne sais » écrit-il à Mgr Guérin en 1904, juste avant de s’installer à Tamanrasset au sud du Sahara.

Paul Pandolfi, dans le journal des africanistes (1997), analyse pour nous les conditions d’installation de Charles de Foucauld au Sahara. Il montre avec rigueur que le désir de de Foucauld de s’installer au milieu des Touaregs correspond parfaitement au projet stratégique de son ami le colonel Laperrine alors commandant supérieur des oasis sahariennes. En effet pour sécuriser la domination coloniale française, Laperrine compte sur la pression militaire tout en passant des accords avec les chefs de tribus Touaregs pour les soumettre et « apprivoiser » les populations. « Je vais [au Sahara] y lâcher de Foucauld il étudie le Touareg, a des médicaments et deux méharas pour se déplacer, vois-tu si le Comte de Foucauld ex Hussard ex explorateur, trappiste en rupture de ban devient chapelain de Moussa ou d’un autre de même poil ce ne sera pas banal » écrit Laperrine au commandant Cauvet en 1904. 

Moussa ag Amastan est un chef Touareg de la coalition des Kel Ahaggar. Il a mené plusieurs attaques contre la présence française, mais suite à la bataille de Tit (1902) au cours de laquelle de nombreux Touaregs ont péri, il a dû signer en 1904 un accord de collaboration avec la France. Laperrine jugeant cet accord insuffisant, va obliger Moussa à signer une soumission complète, c’est dans ce cadre qu’il impose la présence du prêtre. «  L’année dernière, j’avais tenté à plusieurs reprises de m’installer au Hoggar, sans le pouvoir, par suite de l’esprit ombrageux des indigènes qui voyaient en moi un espion du gouvernement  », écrit de Foucauld à Mgr Livignac en 1905 après son installation.

Dès lors Charles de Foucauld au Sahara, tout en menant une vie consacrée à la prière, va aussi prendre le temps d’étudier en détail la géographie du Sahara, le mode de vie des populations, leur langue (il consacrera un temps très important à élaborer un dictionnaire touareg-français en quatre volumes et un lexique abrégé à destination des militaires), leur culture et leurs traditions (édition des poésies touarègues). Il adaptera sa mission en complémentarité avec l’œuvre de domination coloniale. Pas de conversion au christianisme, mais « apprivoiser » les hommes, comme le lui a suggéré Laperrine, et les convaincre de la supériorité de la civilisation et du progrès, la conversion ne pouvant advenir qu’après ce travail d’éducation. 

C’est dans cet objectif qu’il va organiser un voyage de trois mois en France en 1913 pour y accompagner un jeune Targui, Ouksem ag Chikat (pour l’encourager il lui offrira un fusil militaire et des cartouches pour chasser le mouflon). Il veut lui montrer les prodiges accomplis par la civilisation chrétienne française. Débarqué à Marseille, son séjour débute par un pèlerinage à Notre Dame de la Garde et à la Sainte-Beaume. Il se poursuivra aussi par un séjour à Paris pour visiter les grandioses monuments mais aussi l‘institut ethnographique international : « Le jeune Targui que j’ai conduit en France est de race très pure ; je serais heureux qu’un ethnographe fit ses mensurations, ses photographies et tout ce qu’il est intéressant pour la science ethnographique. » Ces photos et les mensurations donneront lieu à publication dans le bulletin de l’Institut sous la plume de l’ethnologue M. Grandidier : « je crois devoir reproduire ici les principales mesures anthropologiques que j’ai pu prendre, mesures qui permettent quelques constatations intéressantes pour l’étude anatomique des races sahariennes, par exemple, comme le montre le rapport des diamètres de la tête, la dolichocéphalie très accusée de notre sujet » (janvier 1914).

Pour autant, Charles de Foucauld ne gardera pas toujours un langage bienveillant vis-à-vis des « indigènes » quand ceux-ci remettent en cause la présence militaire française. « Il faudrait que tous les rezzous qui apparaissent soient poursuivis et exterminés jusqu’au dernier afin que les tribus qui razzient n’aient plus de guides ( ... ) ; ce n’est qu’en tuant tous ces brigands jusqu’au dernier comme on pend aux vergues les pirates qu’on aura la paix . » Lettre au général Laperrine, mai 1915.

La guerre avec l‘Allemagne va exacerber sa ferveur patriotique. Il écrit au Général Mazel : « dans la guerre présente, La France défend le monde et les générations futures contre la barbarie morale de l’AllemagnePour la première fois, je comprends les Croisades  : la guerre actuelle, comme les Croisades, aura pour résultat d’empêcher nos descendants d’être des barbares ». Il sollicite son ami Laperrine : « Au cas où les lois de l’Église me permettraient de m’engager, ferais-je mieux de m’engager  ? – Si oui, comment m’y prendre pour m’engager et être envoyé au front  ? ».

Non décidément, on ne peut pas résumer la vie de Foucauld à celle d’un ermite retiré au désert. Il se sentait certes habité par la foi religieuse, mais il n’a jamais abandonné sa foi patriotique, nationaliste et coloniale. Il n’a converti au christianisme aucune âme du désert, mais il a assisté le pouvoir militaire dans sa mission de domination et d’expansion coloniale.  

 Daniel Garnier

Références :

Paul Pandolfi : 1913 Foucauld et Ouksem voyagent en France (2016) ; l’installation du Père de Foucauld dans l’Ahaggar (1997)

André Bougeot : Sahara espace géostratégiques et enjeux politiques (2014) -Cet article est n lien avec l’actualité contemporaine

* Il existe à Marseille une rue Charles de Foucauld dans le 4ème arrondissement. Une notice lui est consacré dans le Guide du Marseille colonial qui sera disponible en librairie le 1er septembre (éditions Syllepse / la courte échelle.éditions transit).

 

Actualités

Mise à jour :samedi 21 décembre 2024
| Mentions légales | Plan du site | RSS 2.0