Le conseil municipal de Marseille dans sa séance du 7 juillet 2023, à l’occasion de la livraison de récents programmes immobiliers, a adopté la dénomination de 22 nouvelles voies, pour la plupart dans le 15ème arrondissement de la ville. Parmi ces dénominations plusieurs ont un rapport avec l’histoire coloniale et ses conséquences : la « rue Larbi Benbarek, footballeur à l’OM (1917-1992) », la « place Baya Jurquet-Bouhoune, militante féministe et antiraciste (1920-2007) », la « rue Paulette Nardal, femme de lettre (1878-1954) », la « traverse Assia Djebbar, académicienne française (1936-2015) ». Après Baya Bouhoune-Jurquet, et Assia Djebar nous poursuivons avec Larbi Benbarek
Le footballeur marocain, celui dont Pelé disait « si moi je suis le roi du football, Larbi Benbarek en est le Dieu » a effectivement joué à l’OM à deux reprises en 1938-39, puis de 53 à 55 et « au temps béni des colonies », bien que n’ayant jamais acquis la nationalité française, il a pu faire les beaux jours de l’équipe de France entre 1938 et 1955 à 17 reprises. « La perle noire », comme l’avait qualifié la presse, a été adulé par les supporters français et marseillais en particulier, instrumentalisé au nom de l’Empire colonial, encensé ou stigmatisé à la fois « indigène » et digne représentant de l’Empire.
L’historien Stanislas Frenkiel a parfaitement démonté ce mécanisme dans deux articles : L’ambivalence médiatique française sur la « Perle noire ». Analyses des représentations de L’Auto et Paris-soir et Larbi Ben Barek, Marcel Cerdan et Alfred Nakache : icônes de l’utopie impériale dans la presse métropolitaine (1936-1944) ?
Dans sa longue carrière, depuis ses débuts au Maroc en 1934 jusqu’à la fin, au Maroc également, en 1972, en tant qu’entraineur, en passant, outre l’OM, par l’Athletico de Madrid, le Stade français à Paris, l’USM de Bel Abbes en Algérie, un match restera dans l’histoire, au-delà du football. Le 7 octobre 1954 au Parc des Princes à Paris, une sélection d’Afrique du Nord rencontre l’équipe de France, au profit des sinistrés du tremblement de terre d’Orléansville (actuelle Chlef), en Algérie du 9 septembre 1954 qui fit 1450 morts. Cette rencontre a lieu dans un moment bien particulier, elle va prendre, surtout rétrospectivement, une dimension toute autre qu’un simple match de solidarité. Pour la presse française, la victoire ne fait aucun doute. Un journaliste écrit même ceci : « Ben Barek (37 ans et demi) et ses troupes n’ont que la langue arabe en commun. »
Mais le monde est en train de changer.
En Indochine l’armée coloniale française a subi la défaite historique de Dien Bien Phu le 7 mai et en juin les accords de Genève mettent fin à la guerre, la France quitte l’Indochine. Au Maroc, où le sultan Mohamed Ben Youssef a été déposé en janvier, le soulèvement national bat son plein. Pierre Mendes-France, président du conseil depuis le mois de juin, annonce l’ouverture de négociation pour l’autonomie de la Tunisie et la possibilité d’une réforme du Protectorat au Maroc. On ne sait pas encore que quelques jours plus tard le 10 octobre le CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) décidera du début de l’insurrection en Algérie, le 1er novembre.. Dans les trois pays d’Afrique du Maghreb s’exerce une répression permanente contre les militants anticolonialistes et les populations.
Dans la sélection d’Afrique du Nord, autour de Ben Barek, on trouve d’autres joueurs marocains et tunisiens et les Algériens Abdelrahman Boubekeur, Mustapha Zitouni, Mokhtar Arribi, Abdelaziz Ben Tifour, Abdelrahman Meftah, Rachid Belaïd et Saïd Haddad qui en avril 1958 quitteront la France pour constituer la célèbre équipe du FLN. Sur le terrain ils dominent l’équipe de France et l’emportant 3 but à 2. Pour le public Ben Barek en est le héros, à la fin de la saison, il arrête sa carrière en France.
En avril 1988, il est un des invités d’honneur de la célébration à Alger du 30e anniversaire de la création de l’équipe du FLN.
Le film du marocain Driss Mrini, Larbi ou le Destin d’un grand footballeur, 2011 (long métrage) retrace sa vie.