L’opulence de la famille Régis, ainsi que son empreinte patrimoniale sur la ville proviennent essentiellement des profits considérables réalisés en Afrique, sous la couverture protectrice de l’idéologie coloniale.
Les frères Régis, Louis (1812-1889) et Victor (1803-1881), sont des négociants marseillais qui, en 1833, organisent des expéditions commerciales vers le golfe de Guinée, région connue alors comme la « côte des esclaves ». Ils fondent la société Victor Régis frères qui va entretenir des relations commerciales avec le roi Ghézo du Dahomey, marchand d’esclaves pour des capitaines portugais et brésiliens. Ces derniers évitent en effet la marine anglaise décidée à mener la lutte contre ce commerce déclaré illicite par les traités internationaux depuis 1815. Victor, mis en cause pour avoir participé à la traite, oriente ses activités vers l‘exploitation et le commerce de l’huile de palme et de l’arachide. En 1848, Louis se retire du négoce et son frère Victor, avec sa société Régis Ainé, devient le plus riche des armateurs marseillais. Il sera considéré par l’État français comme un quasi gouverneur du Dahomey (aujourd’hui le Bénin) et la marine française interviendra à sa demande pour faire d’une région de ce pays un protectorat de fait.
L’abolition de l’esclavage en 1848 impose l’engagement de travailleurs libres pour les plantations. Le 22 mars 1857, Victor Régis obtient un contrat du ministère de la marine et des colonies pour la fourniture de 20 000 Africains en cinq ans pour les Antilles françaises. Le recrutement des Africains, « engagés volontaires » se fera sur le grand marché aux esclaves de Boma (estuaire du Congo), choisi parce que les prix y sont bas et moins surveillé par les Anglais. Les engagés, considérés comme adultes dès l’âge de 10 ans, sont choisis après inspection minutieuse et intrusive de leurs qualités physiques ; parmi eux il y a des enfants qui voyagent avec leur mère. Après l’achat, ils seront affranchis et un contrat de dix ans leur sera imposé. Les traversées vers les plantations de la Martinique et de la Guadeloupe se font dans des conditions horribles : cales surpeuplées, manque de nourriture, développement de maladies et un taux de mortalité important. Les frais de leur rachat sont considérés comme des avances à retenir sur les salaires versés pendant de nombreuses années. 10 % seront prélevés pour payer le voyage retour qui n’aura jamais lieu. Le salaire des femmes sera inférieur à celui des hommes. Toutes ces conditions sont approuvées et contrôlées par le gouvernement de Napoléon III. Malavois, négociant armateur projetant de développer en Algérie des plantations de coton, sollicite l’autorisation de faire venir 20 000 « Nègres » d’Afrique. Victor Régis va proposer ses services :
Le premier convoi d’Africains est arrivé à la Martinique, le second s’opère.[ …] J’ai eu l’occasion naturelle, en causant avec Sa Majesté, de connaître l’intérêt qu’elle porte à l’Algérie ; je lui ai signalé le besoin de bras qui se fait également sentir dans la colonie et l’avantage qu’il y aurait à appliquer le même système de rachat et de libération que nous pratiquons pour les Antilles [1].
Cette idée sera finalement abandonnée en faveur d’une colonisation de peuplement. La fortune des frères Régis va leur permettre d’étendre leur pouvoir sur la ville : à Victor, la chambre de commerce (il y siégera quinze années), les liens avec les ministères et directement Napoléon III ; à Louis, le conseil municipal pour contrôler les choix de développement urbain et aussi l’administration et la présidence de la puissante société
« de bienfaisance et de charité » qui exerce un contrôle social actif sur la cité. Le patrimoine foncier acquis par les Régis est immense. De 1860 à 1865, Louis fait construire dans le 11e arrondissement un château sur le modèle de Chenonceau, qu’il dénomme Château Régis. Victor fait ériger par l’architecte Bérengier le Grand Hôtel Noailles sur la Canebière. De nombreux immeubles de prestige seront aussi propriétéś des frères : le château de la Buzine, le château de la Reynarde et plusieurs hôtels particuliers en centre-ville. À ces biens s’ajoute, pour Louis, le Domaine Ventre situé en plein centre-ville, qui constitue un ensemble complexe associant domiciles, fabriques et entrepôts.
On notera au passage que la mairie de Marseille est la marraine d’un navire de guerre, le Dixmude. Il s’agit d’un porte-hélicoptère, second bâtiment en tonnage après le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, qui est chargé de la mission Corymbe, visant à assurer une présence permanente de la France dans le golfe de Guinée.