Jusqu’aux années 60 les Antilles vivent sous un régime économique et social hérité du système esclavagiste de la plantation.
La départementalisation ne change pas grand-chose, les inégalités persistent, on passe du statut colonial à celui de la consommation sans perspective de développement et d’emploi. Les usines sucrières principales sources d’emploi, ferment et, de ce fait, le taux de chômage augmente.
La jeunesse, qui représente 51% de la population en Martinique et 53 % Guadeloupe, est particulièrement touchée par la crise économique. La situation est critique : pour soixante offres d’emploi proposées il y a cinq mille demandeurs. La tension monte et, par peur des émeutes, le gouvernement envisage des dispositifs en deux étapes.
D’une part, le service militaire « adapté » est mis en place entre 1952 et 1960. C’est un service actif pour former les martiniquais et guadeloupéens de 18 ans. Le but est de les envoyer en Guyane, territoire sous peuplé. Il a fallu aussi désamorcer la montée d’une crise sociale faisant suite aux émeutes des journées du 20 et 22 décembre 1959 en Martinique. Un simple accrochage à Fort-de-France, entre un Martiniquais et un métropolitain provoque des tensions. Trois jeunes Martiniquais sont morts ainsi qu’un sous-lieutenant de la Gendarmerie. On instaure même le couvre-feu à Fort de France pendant quelques jours.
D’autre part, Michel Debré va créer le BUMIDOM, par un arrêté ministériel du 26 avril 1963. Sous la tutelle du secrétariat d’État à l’Outre-mer, sa mission est d’encadrer et d’organiser dans les meilleures conditions la migration vers la métropole des antillais et des réunionnais vivant dans les départements d’Outre-Mer (DOM). Ce projet bénéficie d’une dotation de deux millions de francs du secrétariat d’outre-mer, du ministère du travail et de la Caisse d’Allocation Familiale pour couvrir les frais d’accueil, la formation et le voyage en aller simple. Le BUMIDOM va proposer des prêts et des aides pour se loger et se former. Le siège est à Paris, mais il y a aussi des antennes à Nantes, au Havre et à Marseille, trois anciens ports esclavagistes et colonialistes.
D’autres organismes d’encadrement sont mis en place. À Madagascar, le bureau pour le développement agricole (BDPA) est chargé des réunionnais y résidant. En Guyane française c’est le bureau pour l’installation des personnes immigrées en Guyane (BIPIG) qui gère les Antillais qui s’y sont installés.
Le BUMIDOM, dirigé par des hauts-fonctionnaires (anciens préfets) va aussi s’appuyer sur des associations à vocation sociales et culturelles. Le Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’outre-mer en métropole (CASODOM : 1956), l’amicale des travailleurs antillo-guyanais (AMITAG : 1964) et le comité national d’accueil et d’actions pour les réunionnais en mobilité (CNARM : 1965). Ces associations bénéficient de subventions publiques et sont dirigées par des personnes d’origine domienne proches des réseaux gaullistes. En vingt ans près de 200 000 ultramarins sont arrivées en métropole ce qui est énorme comparé à la population des DOM au début des années 1960 (en 1961 ; 283 000 habitants en Guadeloupe, 292 200 en Martinique, 350 000 à La Réunion). On note aussi qu’il y a à peu près le même nombre de migrants dits « spontanés » qui ne passent pas par ce dispositif.
La gestion migratoire des populations des départements et des territoires d’outremer est gérée par le gouvernement français par l‘intermédiaire de ses trois organismes d’État, instruments d’une politique de migration organisée.
On peut distinguer deux étapes dans l’histoire de l’émigration :
la première est une phase expérimentale vers d’autres territoires d’Outre-mer entre 1952 et 1960.
La deuxième est une phase d’émigration de masse des DOM vers la France hexagonale dès 1961. Les mouvements migratoires sont vus comme une composante du développement économique social et politique de ces départements.
Pour pouvoir venir en métropole il faut passer des examens psychotechniques et une visite médicale pour être ensuite orienté, selon son genre, vers un centre de formation spécialisé. Le centre féminin de formation et d’adaptation de Crouy-Sur-Ourq formait les migrantes aux métiers d’agents de collectivités, d’aides familiales ou employées de maison. Les centres de Babetville, de Simandres et de Marseille, organisait la formation professionnelle spécialement pour les hommes.
On retrouve beaucoup d’antillais et de réunionnais dans les administrations dès les années 60. Cela s’explique par le fait qu’après la fin de la deuxième guerre mondiale et suite à l’indépendance l’Algérie, la France avait un besoin crucial de main d’œuvre. De plus, dans les départements d’outre-mer, et plus particulièrement aux Antilles la situation économique est désastreuse. La démographie et le nombre de chômeurs sont en hausse et les mouvements de lutte pour l’indépendance qui s’organisent font craindre des révoltes massives.
C’est pour cela qu’on fait venir les jeunes ultramarins dans l’hexagone. On leur fait croire à un avenir meilleur, avec formation et emploi. Mais, à leur arrivée, ils découvrent que les emplois proposés dans le secteur secondaire et tertiaire sont de bas niveau de qualification. Ils sont confrontés à l’isolement, au déracinement familial et culturel et à cela se rajoute le racisme bien qu’ils soient citoyens français.
Il faut tout de même rappeler que les personnes qui sont parties dans le cadre du BUMIDOM n’avaient pas de perspectives de travail aux Antilles. Ce sont essentiellement des jeunes personnes sortant du système scolaire sans qualification, sans diplôme, sans formation et qui rallongent la longue liste des chômeurs.
En 1968, l’antenne parisienne est saccagée, on peut lire sur les murs : "A bas l’impérialisme français et ses valets. Vive les Antilles libres".
Au début des années 80, plus de 260 000 domiens sont venus s’installer en métropole.
Entre 1963 et 1982 c’est aussi le BUMIDOM qui organise la « déportation » de 1630 enfants réunionnais, pour la plupart afro-descendants, dans des départements défavorisés de Lozère, du Tarn, du Gers, des Pyrénées orientales et de la Creuse. Les enfants sont majoritairement placés comme valets de ferme dans des conditions très difficiles. Le 18 février 2014, l’Assemblée Nationale a adopté une « résolution mémorielle » reconnaissant la responsabilité de l’État dans cette déportation.
En 2008 on recense 364 800 personnes nées dans un département d’outre-mer qui vivent en métropole.
Les mouvements autonomistes, indépendantistes, politiques ou syndicaux, ont dénoncé la mise en place du BUMIDOM qui a enlevé une partie de la force vive de ses territoires. Si la liberté de circulation est un principe républicain, ce principe ne peut être pensé sans la liberté de choix.
Aimé Césaire, député de la Martinique, a qualifié ces mesures de « génocide par substitution ». La prise de position de ce dernier reflétait la crainte de voir ressurgir le spectre du colonialisme par le transfert dans les départements d’outre-mer de fonctionnaires métropolitains et à l’inverse l’éloignement des jeunes antillais. Pour Aimé Césaire, les ressources dont disposaient les nouveaux arrivants et l’idéologie dont ils étaient porteurs, les plaçaient dans une position de force.
En 1982, le gouvernement socialiste a remplacé le BUMIDOM, par l’agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’Outre-mer (ANT), pour permettre l’insertion de la population domienne en métropole et non plus dans le cadre de la migration. Elle sera remplacée en 2006 par l’agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Ces modifications n’ont pas apporté d’amélioration à la situation des domiens, les perspectives de travail ou de formation professionnelle aux Antilles n’ayant pas vraiment changées. On a pu le constater en 2009 lors des manifestions contre la « profitation » puissant mouvement contre la vie chère. Et lors des « déchoucages** » des statues qui souligne le malaise persistant dans les DOM.
Une solution aux Antilles était possible avec une autre volonté politique basée sur des perspectives de développement économique avec la mise en place de formations et la création d’emplois notamment dans le secteur public. Mais ni l’état français ni les responsables locaux n’ont envisagé cette solution…
* domien : population issue des départements ou territoires français d’outre-mer
** « déchoucage » mot utilisé en Martinique lors des revendications anticolonialistes pour le déboulonnage de plusieurs statues au début des années 2020. D’autres événements avaient eu lieu dans les années 1970.
Liens complémentaires