La situation d’accueil et d’hébergement des immigrés postcoloniaux après la deuxième guerre mondiale est déplorable en France. De nombreux bidonvilles se développent et le nombre exact de personnes qui y vivent n’est pas connu. Les premiers « habitants » sont des familles gitanes et des ouvriers « indigènes » venant d’Algérie.
Certaines personnalités françaises sont sensibles à cette situation comme Germaine Poinso-Chapuis avocate marseillaise catholique. En tant ministre de la santé et des populations, elle demande un état des lieux notamment pour Marseille. Elle va mettre en place des dispositifs de prise en charge des populations immigrées ainsi que des populations dites défavorisées. Elle entretient des relations avec la grande bourgeoisie marseillaise proche du « catholicisme social » et de la « charité chrétienne ». Favorable à la prise en charge des familles par des organismes privées, elle fait appel à Louis Belpeer et à son épouse pour intervenir auprès de ces populations.
Louis Belpeer est issu de la bourgeoisie catholique conservatrice et Simone Levy-Brane Belpeer est la fille d’une bédouine d’Afrique du Nord et d’un notaire juif marseillais.
Louis Belpeer a créé en 1934 à Marseille le foyer des étudiants africains pour y accueillir les fils de grandes familles destinés à être de futurs dirigeants dans leurs pays. C’est un homme politique du centre droit proche de Gaston Defferre.
Dès 1949 le ministre de l’intérieur et des affaires sociales délègue à Louis Belpeer la gestion de personnes qui habitent dans les bidonvilles.
Louis Belpeer : « Il y avait deux raisons pour lesquelles nous devions nous engager collectivement auprès des populations des bidonvilles : la première c’est qu’en tant que chrétien, je pensais qu’il n’était pas possible de laisser des non-chrétiens sans présence chrétienne auprès d’eux ..., leur tendent la main, les approchent et dialoguent avec eux, non pas pour les convertir,... C’était une obligation morale, intérieure, d’accueillir les étrangers. Et une deuxième raison... J’étais très frappé par ce qui se passait dans différentes régions d’Afrique du Nord : à Casablanca par exemple …dans les années cinquante la ville indigène fond sur la ville européenne... Le danger, c’était qu’en effet, les quartiers pauvres fondent sur les quartiers riches… il faut absolument créer un dialogue entre les deux populations : la population autochtone, c’est-à-dire nous-mêmes, et la population immigrée, de façon à ce que ce risque soit un risque limité ».
C’est ainsi que l’ATOM a été créée en 1950 avec le soutien du Secrétariat Social, de la Préfecture et de personnes issues de la politique locale du logement sous la municipalité Gaston Defferre, notamment Pierre Rastoin.
L’ATOM, au début, a pour objectif d’accueillir, d’accompagner et d’orienter les migrants de passage aussi bien que les travailleurs issus de l’immigration coloniale et postcoloniale.
Madame et Monsieur Belpeer dirigent l’ATOM avec beaucoup d’autorité. Le conseil d’administration est composé de chefs d’entreprise, du frère du directeur du journal de droite « le Méridional » et d’un militaire proche de l’église. L’objectif est bien de contrôler et encadrer la main d’œuvre ouvrière immigrée et de gérer les familles issues de l’immigration postcoloniale
Après la décolonisation, l’ATOM recevra l’appui de techniciens revenus d’Algérie, certains ayant œuvré dans le cadre du plan de Constantine1. D’autres techniciens et fonctionnaires coloniaux ramènent dans leurs bagages le concept d’ « urbanisme moderne » élaboré par le colonialisme français, plus particulièrement au Maroc de Lyautey.
Les premiers bidonvilles ont été construits pour des familles gitanes et des « français musulmans » venant d’Algérie. Des cités provisoires et des cités HLM sont construites pour résorber une partie des bidonvilles comme par exemple Bassens ou la Busserine…
L’ATOM ouvre un centre en 1953 sur le site du grand Arenas dans le quartier de la Cayolle (9ième arrondissement). Les permanences se tiennent dans les baraques qui ont la forme de demi-tonneaux.
Le Président Giscard d’Estaing, accompagné de Louis Belpeer, visite un centre de l’A.T.O.M. à la cité La paternelle. (archives privées) https://secretariatsocialccr.org/historique/
Le Président Giscard d’Estaing, accompagné de Louis Belpeer, visite un centre de l’A.T.O.M. à la cité La paternelle. (archives privées) https://secretariatsocialccr.org/historique/
La cité de transit est un modèle imaginé lors d’une rencontre entre Louis Belpeer et Eugène Claudius-Petit (ministre en 1948), à partir de l’idée coloniale que les populations des bidonvilles, d’origine étrangère et souvent rurale, « n’étaient pas prêtes à accéder directement au HLM ».
Le relogement va se faire dans des cités de transit et certaines familles seront jugées « dignes » d’entrer en HLM. L’ATOM devient dès lors l’un des principaux opérateurs du peuplement des grands ensembles en lien direct avec la Sonacotra et Logirem.
L’ATOM et la SONACOTRA interviennent pour gérer le regroupement familial. C’est aussi à partir de cette logique de regroupement familial que se développent un peu partout en France les structures d’éducation des femmes et des enfants, et l’action sanitaire spécialisée auprès des populations migrantes. Un médecin et une assistante sociale vont dans les bidonvilles pour faire un pont sur la situation sanitaire et sociale des habitants. D’autres intervenants assurent les fonctions socio-éducatives particulièrement auprès des femmes : alphabétisation, arts ménagers, hygiène, puériculture, économie domestique.
Dans la plus pure tradition hygiéniste, les centres ATOM dispensent des cours de cuisine, de soins ménagers et de puériculture. L’alphabétisation s’apparente à de l’éducation civique et s’adresse alors en priorité aux femmes et aux jeunes filles. Les jeunes filles sont retirés des collèges après la 5ème, « pour des raisons bien connues, auxquelles s’ajoute le fait qu’elles aident une mère souvent lourdement chargée d’enfants - plus que les adultes encore, mesurent l’énorme distance qui les séparent de leurs compagnes françaises, vivant dans des conditions normales. Elles en souffrent, elles s’en sentent humiliées et il n’est pas rare d’en voir naître une hostilité à l’égard du milieu familial qu’inconsciemment elles accusent d’être la cause de leur manque d’épanouissement. A elles aussi il faut apporter une chance d’évolution et la perspective de pouvoir assumer avec sérénité leur rôle prochain d’épouse et de mère » dixit Simone Belpeer.
Les jeunes filles qui le fréquentaient vivaient un enferment dans la cité, leur seul contact avec la ville était les animatrices qui avait souvent une attitude paternaliste. On peut considérer que le rôle de l’ATOM était de maintenir ces jeunes filles dans les rôles traditionnels, une sorte d’antichambre avant le mariage.
Pour les garçons la prévention spécialisée en milieu ouvert, les cours du soir et l’apprentissage ont pour but de maitriser la délinquance et de former une main d’œuvre à bon marché. « Hommes et garçons ont de toute manière une chance d’approche du monde extérieur (scolarité et emploi). Si elle n’est pas suffisante, le large éventail des cours du soir complète l’appareil et, pour les adolescents, l’accès au centre de préformation ou de formation professionnelle, suivant l’alphabétisation lorsqu’elle a été nécessaire, ouvre des voies extrêmement précieuses sur un avenir professionnel - et donc social - amélioré. »
Organiser les conditions d’accueil non plus dans le bidonville, mais directement dans le logement bâti, d’où la construction des cités d’urgence et de transit. On retrouve des centres ATOM dans les quartiers nord : La Busserine, Campagne Fenouil, l’Estaque, La Paternelle, Cap-Janet, La Calade, Bassens, Saint Barthélémy, Font Vert, Les Tilleuls. Un seul se trouve 9ème arrondissement dans le quartier de La Cayolle - Grand Arénas. Si on prend le cas du centre de Bassens, il se situait au milieu de la cité, au rez-de-chaussée du bâtiment M.
Dans le centre-ville, Un accueil spécifique est mis en place avec délégation du ministère de l’Intérieur suite à des signalements et les demandes d’intervention sanitaire ou sociale. Simone Belpeer qualifie ce lieu de « bureau des pleurs ». Les bureaux d’accueil sont situés à différents endroits stratégiques ; à la gare Saint-Charles, au port, et à l’aéroport. La présence de l’ATOM auprès des Autorités administratives n’est pas liée au social, même si les migrants pensent que les personnes sont plus attentives à leurs situations. L’objectif poursuivi est d’évaluer si les personnes pouvaient s’adapter et vérifier leur « employabilité » sinon les personnes sont refoulées dans leur « pays »
Du fait de ses nombreux contacts avec les milieux industriels locaux et nationaux, Louis Belpeer oriente les ouvriers employables. Simone Belpeer leur propose des hébergements en « foyers » qui sont de fait de simples tentes de l’armée placées à l’intérieur des bidonvilles.
Louis Belpeer et son conseil d’administration créent le CANA (Centre d’Accueil pour les Nord Africains antenne) dont la mission est d’héberger temporairement des « maghrébins » en situation irrégulière. L’association reçoit majoritairement des personnes analphabètes et décide en 1952 de proposer une formation professionnelle et des cours du soir. Le financement est géré par le Ministère de l’Intérieur et à partir de 1961 par le FAS (Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille).
En 1978, le CANA deviendra un centre de formation pour des femmes étrangères.
L’ACPM, Association des Centres de Préformation de Marseille, est fondée en 1958 par Louis Belpeer pour la promotion sociale et professionnelle des jeunes et des adultes.
En 1980, l’ATOM est cité dans un rapport de la cour des comptes, on y relève des pratiques financières « inquiétantes ». En mars 1981, les Belpeer sont évincés de l’ATOM. Cette association va disparaitre et ses activités seront reprises par l’ADRIM.
On retiendra que l’ATOM a été une énorme machine de gestion et de contrôle des immigrés coloniaux et postcoloniaux dans tous les domaines de leur vie : accueil, logement, formation, emploi, santé, éducation...Les époux Belpeer, dirigeants autocrates et paternalistes, appuyés par les notables et les services de la préfecture, ont incarné à Marseille cette politique et unique en France.
Notes :
1 le Plan de Constantine officiellement appelé « Plan de développement économique et social en Algérie » (1958-1961), est un programme économique élaboré par le gouvernement français au plus fort de la guerre d’Algérie après l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle. Il a pour objectif de valoriser de l’ensemble des ressources de l’Algérie, mais surtout d’affaiblir politique du FLN.
2 FAS Le fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles met en œuvre une action sociale familiale s’adressant à l’ensemble de la population immigrée résidant en France. Ce fonds est créé en 1958 dans le cadre du plan de Constantine. Le FAS est financé à l’origine par les allocations familiales, versées par les employeurs et les salariés. Les « Français musulmans d’Algérie » travaillant en France métropolitaine, selon la terminologie de l’époque, sont soumis au régime de cotisation commun, mais leurs familles en Algérie ne bénéficient pas des mêmes allocations que les familles métropolitaines du fait de règlements discriminatoires d’indemnisation. L’un des objectifs du FAS est de compenser cette inégalité. Le FAS intervient dans le logement des travailleurs algériens en France métropolitaine en participant au financement des foyers pour travailleurs migrants gérés notamment par la société Sonacotra, créée par l’État en 1956. Jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, le FAS est censé répartir son intervention de part et d’autre de la Méditerranée à raison d’un tiers en France métropolitaine et de deux tiers en Algérie, mais ensuite il concentre ses actions en France.
Bibliographie :
"Notables, militants, entrepreneurs : une histoire sociale du militantisme dans les cités", 2007, Claire Duport
Claire Duport L’âme missionnaire le rôle de l’ATOM https://vacarme.org/article3292.html
Dalila MAHDJOUB : https://www.documentsdartistes.org/artistes/mahdjoub/repro-archivessol.html
http://www.documentsdartistes.org/artistes/derainmahdjoub/repro1.html
https://www.adrim.fr/l-association?pgid=kcp5hzq5-2259ade5-b686-4785-8baa-e29303e4f548
https://ciqhautsdemazargueslacayolle.com/histoire-du-quartier/memoires-du-quartier-de-la-cayolle-1944-2019/1953-1965-le-temps-du-relogement/1953-1983-l-atom-aide-aux-travailleurs-doutre-mer/
https://marsactu.fr/dalila-ouanes-guillon-du-bidonville-a-la-paternelle-une-trajectoire-marseillaise/
https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Provence-Alpes-Cote-d-Azur/Politique-et-actions-culturelles/Architecture-contemporaine-remarquable-en-Paca/Les-etudes/Marseille-ensembles-et-residences-de-la-periode-1955-1975/Ensembles-residences/Selection-des-80-ensembles-et-residences/Notices-monographiques-des-80-ensembles-et-residences-etudies/1508-Cap-Janet