Résumé :

C’est en 1965 que certains musiciens afro-américains de Chicago décidèrent de mutualiser leurs efforts, d’approfondir les rapports coopératifs caractéristiques de leurs pratiques socio-musicales au regard des notions d’autodétermination et d’autogestion (d’autoréalisation) que le mouvement du Black Power mettait alors à l’ordre du jour. Depuis, le rôle tenu par l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) dans les multiples développements du champ jazzistique ne s’est jamais démenti.
Basée à Chicago, installée à New York, diffusée en Amérique du Nord et en Europe, à travers " l’Atlantique noir " , l ’AACM propose une musique multidéterminée (communautaire parce que cosmopolite, cosmopolite parce que communautaire), multidirectionnelle (des grands principes du blues ou du gospel aux grands travaux de la composition écrite ou de l’informatique musicale, en passant par toutes les ressources de l’improvisation) et multidimensionnelle (esthétique, critique, philosophique et spirituelle) - une " matrice de créativité " .
En cela s’accomplit une musique-monde, polyphonique, polyrythmique, et finalement polymorphe, une musique qui fait et fait faire l’expérience de l’hétérogénéité. A dire vrai, les individualités qui composent l’AACM ont toujours conçu leur mise en commun comme le spectre d’un rayonnement, formant, déformant et transformant une société de la musique - simultanément assemblée et rassemblement, coopérative et syndicat, fraternité et société secrète ou ouverte, mouvement socio-musical et école du monde.
A tous ces titres, faire l’histoire et l’anthropologie de l’AACM, dans sa continuité et ses discontinuités, c’est faire l’histoire et l’anthropologie de l’espace double occupé par la musique créative, au tournant du XXIe siècle, à la fois comme institution sociale alternative et comme imaginaire sociétal. Comme utopie moins réalisée que réalisante.