Librairie associative à Marseille
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Dans le bateau Ville d'Alger, chargé de milliers de fuyards, je suis en route pour Marseille.
Ma grand-mère m'accompagne pour son dernier voyage. Grâce à mon boulot, j'ai pu lui obtenir un billet en classe fret. Vivant, on navigue en cabine ou sur les ponts, mort, avec les marchandises dans la soute.
"La valise ou le cercueil", disait-on vers la fin. Je n'ai pas eu à choisir. Je quitte le pays avec une valise et un cercueil. Les formules varient selon les circonstances, une conjonction peut vous changer une phrase, un coup de feu, provoquer un massacre.
Je m'appelle Paco Martinez. Je suis, j'étais, je serai peut-être encore inspecteur de police, si on veut bien de moi à Marseille.
Je suis né en Catalogne dans le Barrio Gotico de Barcelone en 1930 d'un père, instituteur de profession, anarchiste de conviction, mort en 37, liquidé par les communistes, et d'une mère de la petite bourgeoisie catholique que je n'ai pas revue depuis mes six ans. Mon père m'a enlevé pour me soustraire à l'influence maternelle. Il m'a confié à sa mère, ma grand-mère, veuve et charcutière.
Après la guerre d'Espagne, elle a préféré fuir le franquisme et s'est exilée en Algérie, dans la Basseta* de Bâb-el-Oued.
En ce printemps 62, elle n'a pas voulu d'un nouveau départ. Le gaz a fait le reste. Pour me punir, je me suis bourré la gueule au bar des Arènes, arrosé par les patrons avant fermeture définitive et changement de propriétaire. Ça deviendra probablement un café maure, alcool interdit par l'Islam, alors liquidation totale des stocks, anisette à volonté pour tout le monde. Borracho**. Espagnols, Italiens, Maltais, Corses, Juifs et même Français de souche...
Du coeur de la cité s'élève un nuage noir, de papier brûlé, la fumée des soixante mille volumes de la bibliothèque d'Alger. De la terre brûlée aux livres incendiés, la culture a toujours été victime de l'extrême droite...
La ville blanche éblouit mes rétines une dernière fois dans le bleu de l'aube et son image frémit de sa première chaleur comme les lèvres tremblantes d'une femme qui retient son chagrin. Je n'ai pas encore pleuré ma grand-mère et je thésaurise mes larmes pour sa mise en terre dans un cimetière de hasard.
Irène est restée pour quelques semaines encore parce qu'elle veut organiser son déménagement.
Je ne sais pas si elle me rejoindra.
Je ne sais pas si j'en ai envie.
L'histoire le dira ou pas.
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